Défaillances techniques, calendrier chamboulé, abandons, déficit budgétaire… : Bug général à l’Uvs §!!

Entre « impertinence pédagogique », défaillances techniques de la plateforme, déficit budgétaire, défaut de local et de matériel pédagogique…l’université virtuelle du Sénégal (Uvs) étale sa fiche technique peu reluisante. La réalité sur le terrain donne froid dans le dos et semble conforter les mises en garde du Dr Mouhamadou El Hady Ba de la Fastef, jadis ignorées par le ministère de l’Enseignement supérieur, qui tirait la sonnette d’alarme dans sa contribution publié en 2015 intitulée : L’université virtuelle du Sénégal, un dangereux miroir aux alouettes ?

Aujourd’hui à l’heure de l’audit demandé par le chef de l’Etat, mercredi dernier en conseil des ministres, Seneweb défriche le terrain aux auditeurs en dévoilant la partie immergée de l’iceberg. Enquête !

La situation difficile que traverse l’université Cheikh Anta Diop de Dakar n’est que l’arbre qui cache la forêt de problèmes que l’enseignement supérieur sénégalais traîne comme un boulet depuis des décennies. Nouveau-né et non moins deuxième université du Sénégal en termes d’effectif (51 mille étudiants), l’université virtuelle du Sénégal (Uvs) égrène déjà son lot d’obstacles avec, en toile de fond, un problème lié au format et à la qualité des cours qu’elle propose.

Créée dans le souci de réduire les effectifs pléthoriques dans les universités publiques classiques, l’Uvs charrie les espoirs des autorités contraintes qu’elles étaient de trouver les solutions idoines qui mettraient fin au calvaire des universités publiques sénégalaises. Cependant, d’aucuns restent sceptiques quant à l’atteinte des objectifs placés en elle. Dr Mouhamadou El Hady Ba, par ailleurs formateur à la Fastef Ucad, est le premier à émettre ses inquiétudes bien qu’il soit d’avis que la création de l’Uvs « répondait à une urgence absolue ».

« Il ne fait pas de doute qu’au moment de sa création l’Uvs répondait à une urgence absolue. Le pays se trouvait avec un trop plein de bacheliers qu’il fallait absolument orienter quelque part. Les universités publiques avaient atteint leur point de rupture et la prise en charge d’une inscription dans le privé pour tous ces bacheliers aurait fait exploser le budget de l’enseignement supérieur » concède-t-il.

Toutefois, en dépit de ce contexte d’extrême nécessité, le choix de créer une université virtuelle sénégalaise « et d’y orienter le surplus de bacheliers » était selon lui, « un choix certes politiquement pertinent » mais « pédagogiquement injustifiable et en tous points contraire à l’intérêt de l’Etat et de la société sénégalaise ». La thèse soulevée par ce professeur est sous-tendue par des études scientifiques qui passent au crible l’enseignement supérieur virtuel. Les résultats qui en ressortent, donnent le tournis.

Echecs…

D’après ces études, l’enseignement virtuel, depuis son avènement au début des années 2000, a enregistré des échecs beaucoup plus importants que dans l’enseignement classique et cela est dû à « un taux de rétention très bas ».

Ce qui donne lieu de s’inquiéter si l’on sait que le taux d’échec dans les universités publiques sénégalaises dépasse la barre des 50%. Selon M. Bâ, « l’Etat du Sénégal a choisi de sacrifier l’avenir » des bacheliers orientés à l’Uvs car la structure est « inadaptée à leurs besoins et capacités d’apprentissage ». Pour étayer ce qu’il avance, le Dr Ba convoque les études réalisées dans les Mooc (acronyme anglais pour cours en ligne ouvert et massif), équivalent américains de l’Uvs.

« Menée par Sebastian Thrun, le fondateur d’Udacity, une des premières plateformes de cours en ligne, elle a montré que, pour la grande majorité des étudiants, les cours à distance sur internet sont beaucoup moins efficaces que les cours en présentiel », constate l’étude dont les résultats révèlent qu’en réalité « il y a une petite minorité d’environ 5%- les étudiants qui ont la double caractéristique d’être déjà bien formés et d’être extrêmement motivés- pour lesquels cet enseignement à distance est approprié. Pour tous les autres, l’échec est massif et beaucoup plus important que dans les formations classiques».

Mieux, une autre étude effectuée sur la plateforme virtuelle de l’université de Pennsylvanie aux États-Unis, montre que « 80% des inscrits sur leur plateforme sont déjà titulaires d’un diplôme universitaire » donc déjà bien formés et mieux outillés pour relever le défi du virtuel. Ce qui n’est pas le cas de l’université virtuelle du Sénégal qui enrôle de nouveaux bacheliers inexpérimentés. Facteur qui semble conforter l’idée selon laquelle l’Uvs est «inadaptée au public auquel elle est destinée ».

Un étudiant de l’Uvs coûte plus cher à l’Etat

A côté de l’impertinence pédagogique de la nouvelle plateforme virtuelle, le coût semble militer en défaveur de l’Uvs. En effet, hors l’emprunt de 3,5 milliards qui avait été consenti pour développer la plateforme, la construction et l’équipement des espaces numériques ouverts (Eno) continue d’engloutir plusieurs milliards. Au final, soutient Dr Ba,

« Entre la construction des Eno, la production des cours, la subvention des ordinateurs ; l’Etat se retrouvera à payer plus cher pour un étudiant orienté à l’Uvs que pour un étudiant à l’Ucad ». En effet, sur les 50 Eno prévus,  « 24 ont acquis un financement », annonçait le coordonnateur de l’Uvs Moussa Lô.

Sur ces 24, cinq ont été financés par la Banque africaine de développement (Bad), les 19 autres le seront par l’Etat et ses démembrements (11 par le budget consolidé d’investissement de l’Etat Bic et 8 par l’agence de régulation des télécommunications et des postes Artp). En plus de bénéficier d’un ordinateur subventionné à 50 mille francs Cfa et d’une clé de connexion offert avec 3 gigas mensuel (actuellement en 5 et 10 gigas),  un étudiant de l’Uvs jouit de tout autre avantage qu’ont les autres étudiants des universités classiques: bourse et aide financière.

Il faut signaler que jusqu’en 2021, sur les 50 ENO prévus, seuls 5 (1/10) ont été réceptionnés et que les ordinateurs promis aux étudiants de l’Uvs sont devenus une denrée si rare que le ministère est obligé de faire des subterfuges en lésant certains étudiants.

Bug total !

Sur le terrain, la réalité ne fait que légitimer le scepticisme des uns et des autres. Jusqu’ici emmurés dans le silence, les étudiants n’en demeurent pas moins frustrés, en attestent leurs récurrentes grèves. Inscrit à l’Uvs en 2014, Mohamed Faye (ancien étudiant) lève le voile sur les difficultés qu’ils sont contraints de surmonter pour réussir. Après avoir commencé leur cursus avec une année blanche (en 2014), les étudiants, en plus de devoir s’adapter à un système d’apprentissage méconnu, subissent les caprices de la plateforme et les absences répétées des professeurs.

« Les étudiants font face à beaucoup de difficultés. Les cours sont donnés à partir d’une plateforme et on les télécharge. Ils sont sous format écrit ou vidéo. On nous donne un calendrier des cours, on se connecte à l’heure indiquée et les étudiants interagissent avec le professeur pendant les travaux dirigés. Si tu ne comprends pas, tu poses des questions au professeur soit par mail ou par vocal. C’est vrai que c’est très difficile de retenir les explications dans des conditions complètement virtuelles. C’est différent du système d’enseignement qu’on a toujours connu », raconte-il.

Pour s’en sortir, les étudiants créent des groupes de travail pour partager les acquis en dehors des cours, car souffle-t-il, « c’est impossible de réussir si on se contente que des vidéos des professeurs ». S’y ajoute l’absentéisme des professeurs. « Des fois tu te connectes pour faire un TD, tu ne trouves pas le professeur. Cela a tendance à retarder le cheminement normal de notre cursus » se désole-t-il.

« Je viens à peine de terminer ma licence 3. Les amis avec qui j’ai eu le Bac et qui sont à l’Ucad, ils sont en master 1 et vont bientôt boucler leur master. C’est vous dire qu’ils ont une année de plus par rapport à nous parce que tout simplement il y a trop de chamboulement dans le calendrier académique et cela pousse beaucoup d’étudiants à l’abandon », renchérit Habib Seck, étudiant de la 5e promotion. L’étudiant qui a toujours eu des appréhensions quelque peu légitime sur la qualité de l’enseignement à l’Uvs, suit, parallèlement une autre formation dans le privé pour sécuriser son avenir.

Dotation de connexion insuffisante, déficit budgétaire, retard dans la livraison des ordinateurs et des Eno… les autres maux

Les étudiants sont également confrontés à un problème d’ordinateur. D’ailleurs les nouveaux de la 8e promotion n’ont toujours pas débuté les cours faute de cet outil de travail qui leur est primordial. « Il y a une pénurie d’ordinateurs au niveau mondial. Mais la commande a été passée pour la réception de 6000 ordinateurs (alors que le besoin est estimé à 21 000, Ndlr) », a indiqué le ministre de l’Enseignement supérieur, Cheikh Oumar Hann, dimanche dernier sur le plateau du Grand Jury d’Itv.

Dans l’impossibilité de donner des ordinateurs à tous les étudiants, le ministère de l’Enseignement supérieur fait dans la ruse, indique le président du collectif des étudiants de l’Uvs, Mansour Diallo joint par Seneweb. « Faute de pouvoir donner un ordinateur à tous les nouveaux, ils ont créé un module développement personnel en présentiel et sur smartphone. Il faut impérativement valider ce module pour avoir un ordinateur. Ceux qui ratent ce module devront attendre un an pour espérer en avoir un », révèle Mansour qui indique qu’il y a rupture d’égalité à ce niveau puisque les étudiants qui ne disposent pas de smartphone sont pratiquement ajournés d’office parce qu’ils ne pourront pas valider ce module.

Il en est de même avec la connectivité qui est elle-aussi un casse-tête pour les étudiants. Bénéficiant d’une dotation mensuelle qui varie selon l’opérateur (5 giga pour ceux qui ont des clés Free, 7 gigas pour Orange et 10 pour Expresso), les étudiants jugent ces dotations insuffisantes puisqu’en plus des cours, ils sont appelés à faire des recherches sur internet. Car, qui connaît l’enseignement supérieur sait qu’elle rime avec recherche.

A ces difficultés s’ajoute une explosion des effectifs qui sont passés de 2000 (en 2014), 22 000 (en 2018) et 51 000 (en 2021 dont 21 000 nouveaux bacheliers orientés à l’Uvs cette année). Malgré cette surpopulation étudiante, le budget de 3 milliards par an est resté en l’état alors que le déficit budgétaire annuel est estimé à 4,7 milliards de francs Cfa d’après un communiqué du Saes section Uvs qui se plaint également du retard dans la livraison des Eno.

Une sortie qui n’est pas restée lettre morte puisque le président de la République, Macky Sall a demandé à son ministre de l’Enseignement supérieur d’engager « un audit général du fonctionnement de l’UVS, dans le cadre de l’évaluation des concertations nationales sur l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation ». En entendant les résultats de cet audit et les décisions qui en émaneront, l’Uvs traîne ses maux !

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